• Citation de la semaine

    "Chère maman, Cher papa,

    Vous n'allez pas comprendre. Vous n'allez pas comprendre pourquoi vous êtes en train de lire cette lettre. Ça va vous tomber dessus. Comme si quelqu'un s'était caché pendant des années et qu'il vous frappe brutalement au moment où vous vous y attendez le moins.

    Vous n'avez rien vu parce que j'ai tout caché, parce que je suis un menteur. Je ne peux pas vous dire comment je vois le monde. J'ai peur de vous convaincre qu'il est comme je le pense, inutile, vide, laid, je suis tellement fort pour tout enlaidir. Rien ne me fait plaisir, rien ne me fait rêver, ce n'est la faute de personne, surtout pas la vôtre, même pas la mienne, je suis né comme ça. Ce que je le mieux faire, c'est mentir, vous faire croire que tout va bien. Ce que j'avais encore, et que j'ai perdu, c'est la capacité de me dire que plus tard les choses seront différentes, qu'il suffit d'attendre, d'être patient. Ce qui me manque et que vous avez tous, c'est un feu intérieur, quelque chose qui donne du courage.

    Je sais que je vais vous faire beaucoup de peine à tous les deux, à Théo et à Marie aussi, je n'ai pas le courage de ne pas vous en faire, j'abandonne.

    Pour moi ce n'est pas une fin, c'est juste l'inconnu. Je sais que je vous oblige à m'y suivre et que ce n'est pas ce que vous vouliez, mais c'est mon droit de faire ça, il faut me respecter. Pour une fois, je n'ai pas l'impression d'être dans le brouillard.

    Je ne sais pas s'il faut en vouloir aux gens qui décident de mourir, parce que quand même, c'est leur dernière solution et personne n'a envie de ne plus avoir le choix, alors pardonnez-moi.

    J'en veux à ceux qui restent, ils ont ce que je n'ai pas, ce que je n'aurais jamais eu de toute façon, j'aurais tellement voulu être comme tout le monde.

    Je ne sais pas quoi écrire pour vous consoler.

    Dites-vous que je suis parti en voyage très loin, que le téléphone n'existe pas, que je ne sais pas écrire et que c'est pour ça que je ne donne pas de nouvelles.

    Imaginez-moi en train de vieillir dans un endroit où il y a des palmiers, le désert, un lagon. Je parle des dialectes inconnus, je sais faire du feu avec rien, je sais chasser pour me nourrir, rester sous l'eau sans respirer plus de trois minutes, trouver une source d'eau potable avec une baguette en bois et, depuis que je suis arrivé dans ce pays, je ne me suis coupé ne la barbe ni les cheveux.

    Occupez-vous de Théo.

    Faites-moi revenir dans vos rêves, c'est ma seule place maintenant.

    Alex"

     

    Valérie SIGWARD, La Fugue, 2006

    « Phrase du jourSuicide »

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